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le Blog'notes de Charlot du 13

 

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Charlot du 13

 

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L'Algérie de Jacky
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Elie, le mendiant de Jérusalem

 

Ce matin, je me suis réveillé comme tous les matins avec la faim au ventre. Non pas une faim qu'on se dit "Oh, j'ai faim, je vais bien manger ce matin" non, une faim qu'on se dit "C'est bizarre que je ne sois pas encore mort d'inanition, j'en peux plus, je crève littéralement de faim".

Je me suis arrangé la tunique -je dors tout habillé- parce qu'on a beau être au printemps, quand on a faim, on a froid. On manque de calories parait-il. Je n'ai pas eu le courage d'aller jusqu'au puits me rincer la figure. C'est trop loin. Pourtant, j'aurais dû y aller pour boire un peu d'eau. L'eau, ça remplit l'estomac. Mais moi, ça me donne des crampes. Des crampes d'estomac. Des crampes de faim.

Je ne pense qu'à ça : la faim ! LA FAIM ! LA FAIM !

Ce n'est pas vrai, je pense aussi à manger. Cette nuit, j'ai rêvé que je faisais un festin. Un poulet rôti avec des grains de blé revenus dans un oignon… Quand je me suis réveillé, j'étais déçu bien sûr, mais j'avais passé un bon moment.

Bon. Où est-ce que je vais aller aujourd'hui ? Devant le temple ? Trop de concurrence et peu de clients. Dans la grand-rue ? Les gens sont trop pressés. Ils ne s'arrêtent pas pour donner une aumône à un pauvre mendiant. Non, je crois que je vais encore aller au marché. Même si la concurrence est rude - on ne compte pas les mendiants dans le marché de Jérusalem en ce jour du 7 Nissan 3793[1]. Faut dire que la vie est dure à Jérusalem, les pauvres ne manquent pas et des miséreux comme moi, il y en a des dizaines. Peut-être des centaines.

Bon, je vais faire le marché. Tiens, c'est drôle. "Je vais faire le marché". On dirait un riche qui va faire ses courses, la bourse bien remplie. Non, moi, je vais faire le marché, c'est-à-dire que je vais aller mendier au marché. Je vais m'installer comme d'habitude à côté de l'étal d'épices. L'odeur des épices trompe la faim, vous le saviez, ça ? Et puis, de temps en temps, je me lèverai faire un petit tour des étals voir s'il n'y a pas des fruits pas trop pourris et bons à manger.

En marchant, je travaille déjà, je tends ma sébile : - La charité, s'il vous plait !

Bon. Voilà mon étal. Enfin, quand je dis mon étal, c'est une façon de parler. Vous avez compris bien sûr. Je m'installe.

- La charité, s'il vous plait !

Qu'est-ce que ça sent bon ! Au moins, je ne sens plus ma propre crasse. Parce que même moi, je trouve que je pue ! Je pue la crasse, la pisse, la sueur et que sais-je encore ? Mais alors, ce mélange de cannelle, de gingembre, d'aneth, de paprika, de curcuma et plein plein d'autre épices, qu'est-ce que c'est bon ! Mais qu'est-ce que c'est bon !

- La charité, s'il vous plait !

Les gens passent sans me regarder. Je dirais même sans me voir. Ils ont peut-être peur de s'imaginer eux-mêmes dans ma situation. Et oui, Mesdames, et oui Messieurs, moi aussi, j'étais comme vous. J'allais faire mes courses au marché. Je n'étais pas très riche mais j'avais de quoi. Un atelier de tissage. Moi, ma femme et mes deux filles, on fabriquait de merveilleux tissus avec la meilleure laine de la région, avec du coton d'Egypte, le meilleur.

Et puis, une nuit, l'atelier a brulé, et la maison aussi. Brulés les tissus déjà fabriqués et pas encore vendus. Brulés les ballots de laine, les ballots de coton pas encore payés. Brulés, les métiers à tisser, un trésor… Alors, ma femme est partie avec un autre. Mes filles, je ne sais pas ce qu'elles sont devenues. Il parait que la petite se prostitue. Je ne veux pas le savoir. Quand je pense à ce passé, à cette autre vie, j'ai trop mal.

- La charité, s'il vous plait !

Bientôt midi. Ça va être la fin. J'ai trouvé une belle pomme et deux nèfles un peu blettes mais bonnes. Tout à coup, un mouvement de foule passe devant moi. Toute une troupe de gens, une branche de palmier à la main. C'est vrai, c'est bientôt la fête des cabanes, les gens achètent des palmes, des branches de palmier. Moi, ça ne m'intéresse pas. Ça ne se mange pas. Je n'avais pas fait attention à toutes ces branches de palmes.

Ils courent en criant : "Hosanna ! Hosanna !" Je me lève et demande à un aussi pauvre que moi :

- Qu'est-ce qu'il y a ?
- C'est le messie, c'est le messie !
- Quoi ? Quel messie ? Qu'est-ce que tu racontes ?
- Oui, c'est le messie, il arrive sur un âne blanc. Tous les apôtres sont derrière lui.
- Mais qui c'est celui-là ?
- Tu connais pas ? C'est Jésus de Nazareth. Il fait des miracles. Hier, il a ressuscité un mort. C'est vrai. Il s'appelle Lazare. On préparait son enterrement, et il l'a ressuscité. Maintenant, Lazare, il est vivant, il marche derrière lui.

Bon. Ressusciter les morts, c'est pas mon truc. Moi qui ai envie de mourir depuis si longtemps…

- Bon, c'est tout ce qu'il fait, ce Jésus de Nazareth ?

- Ben non, il multiplie la bouffe. Les pains, les poissons. On lui donne cinq pains, et il fait manger cinq mille personnes avec et encore il en reste douze corbeilles. Il change l'eau en vin. Il a fait une pêche miraculeuse, des milliers de poissons. Et il marche sur l'eau.

Marcher sur l'eau, ça me fait une belle jambe, mais la multiplication des pains et des poissons et surtout, surtout, surtout, changer l'eau en vin ! Alors, là ! Je me lève, trouve une branche de palmier tombée par terre, je la lève en l'air et je l'agite.

- Hosanna ! Hosanna !

J'ai faim, j'ai faim, j'ai faim ! Je cours derrière la foule. C'est une foule de pauvres, de mendiants. Ils ont faim, comme moi ! Ils sont tout comme moi, je suis tout comme eux ! Je suis happé par cet espoir, par cette ferveur, par cette foi. Je me sens fort tout à coup, je me sens heureux ! Je SUIS heureux !

 

- Hosanna ! Hosanna ! Le royaume des cieux nous appartient !



[1] Correspond au jour des Rameaux de l'an 33 après J.C.