Je me présente, je m'appelle Chouchou. On m'appelle Chouchou d'abord parce que je suis un chêne. Et savez-vous aussi pourquoi ils m'appellent Chouchou ? Parce que les gosses m'adorent. Et oui, je porte une balançoire ! Alors, bien sûr !
Nous sommes trois grands arbres dans ce parc. A part moi Chouchou, il y a Boubou le bouleau et Mimi, le mimosa. D'accord, Boubou et Mimi sont magnifiques, mais sans me vanter, moi…
J'ai plus de 98 ans. Il y en a qui me disent centenaire, mais je sais que c'est exagéré.
Vous voulez me voir ?
Je vous ai préparé une photo de moi à chacune des saisons.
Vous pouvez m'admirer ici :
Du printemps à l'hiver en passant par
l'été et l'automne
Je suis beau, hein ?
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Et voilà ma maison :
Là, je suis au premier plan.
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Bon. On peut dire que je suis un chêne heureux. Soigné, aimé, bien entouré d'amis et de copains. De bons humains aussi. Les proprios de la maison, ils ont toujours été bien sympas. D'abord, il y a eu la famille Dupneu. Jules et Yvonne. Ils étaient jeunes mariés. Et c'est le jeune Jules Dupneu qui m'a planté en 1921. Pour des enfants qui allaient arriver. Et André et Sophie sont arrivés quelques années après.
Là, quand les gosses ont grandi, j'ai eu droit à deux balançoires. Petites, car je n'étais pas très grand. Mais quand même, j'étais déjà costaud et jamais je n'aurais laissé casser une branche et fait tomber les enfants.
Le pauvre Jules, il est parti en 39. Il était fringuant dans son bel uniforme. Et fier aussi : "On les aura bien vite, ces boches ! C'est la der des der !"
Je ne l'ai plus revu…
André et Sophie ont grandi avec leur maman. Puis Ils se sont mariés. Sophie est allé en ville et André s'est marié avec Jeanne et c'est André et Jeanne qui ont gardé la maison et la mère Yvonne. Sur ses vieux jours, Yvonne venait souvent s'assoir dans un fauteuil sous mon ombre. J'aimais beaucoup ces moments. Je la berçais de mes branches au souffle du vent, et elle somnolait. C'était bon.
Après sont arrivés les enfants d'André, Martine et Louis. Quels bonheurs j'ai eu avec eux. Ils ont grandi avec moi, et moi aussi j'ai grandi avec eux. Je devais déjà faire huit mètres de haut dans les années 90.
Ces années-là sont arrivés Mimi et Boubou, mes vieux amis le mimosa et le bouleau. On a toujours beaucoup discuté, nous trois. Il y a très peu d'humains qui savent que les arbres se parlent. Certains humains disent : "Les arbres ne peuvent pas parler, bien sûr, ce n'est que le bruissement du vent dans les feuilles" Espèces d'idiots ! Et l'hiver, alors ? Quand on est les trois dénudés ? Abrutis, va !
J'ai eu beaucoup de chance aussi avec Mimi et Boubou. Deux arbres très distingués et toujours respectueux avec moi. Et moi, j'ai toujours été très poli avec eux, et je ne me la pète pas, genre, moi, je suis un chêne liège ou un chêne rouvre, un connard de catalan qui ne perd même pas ses feuilles en hiver… Non, je suis un chêne européen tout simplement. Pas un chêne rouge du sud des états unis dont les branches servaient à pendre les esclaves en fuite ! Les salopards !
Bon. Revenons à nos familles. Quand André et Jeanne sont décédés en 2018, ni Martine ni Louis ne pouvaient rester à la maison. Ils travaillaient loin, l'un à Paris, l'autre à Bordeaux. Alors, ils ont mis la maison en vente. Et finalement, c'est une Nathalie et une Karine qui ont acheté le domaine pour en faire une maison d'hôtes. Super ! J'allais voir plein de monde passer, des enfants, des vieux, des Français et des étrangers. Et les deux femmes, des amours ! et deux filles, géniales aussi !
Mais bon, elles n'ont pas eu le temps de finir les travaux que quelque chose de très bizarre s'est passé. Les travaux se sont arrêtés. La famille est restée enfermée à la maison. Bien sûr, quand il fait beau, elles sortent dans le jardin. Mais elles ne sortent pratiquement plus. Il y en a une qui part une fois par semaine et qui revient avec des courses et c'est tout. Et personne qui ne vient jamais !
Boubou, il répète : "Y a la peste ! y a la peste !"
Mais Mimi, elle dit que ce n'est pas la peste, que c'est le bonora-birus ou quelque chose d'approchant.
En tout cas, tout cela est inquiétant. J'espère que tout va bientôt s'arranger.
Même, j'en suis sûr.
Ecoutez donc un vieillard de presque cent ans !