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le Blog'notes de Charlot du 13

 

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Charlot du 13

 

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il voyait !

 

Quand Carlos se réveilla, il se mit en colère cette fois encore. Encore et encore ! Il avait encore rêvé et il avait encore oublié qu’il ne voyait plus à son réveil. Pendant une fraction de seconde. Une fraction de seconde, c’était encore trop. Beaucoup trop.

Dire qu’il avait passé presque les deux tiers de sa vie aveugle. A vingt quatre ans, un bête accident. Il avait plongé sur des rochers. Maintenant, à soixante cinq ans, cela faisait plus de quarante ans qu’il n’y voyait plus. Et des fois au réveil, il l’oubliait. Une fraction de seconde. C’était encore trop. Beaucoup trop.

Ca lui arrivait surtout quand il rêvait. Ah, les rêves ! Il revoyait les choses comme avant, il revoyait les gens comme avant. Il savait bien qu’ils avaient vieilli en quarante ans. Mais dans ses rêves, il les revoyaient comme avant. Son frère Diego. Diego était l’aîné. Et Diego était malade. Depuis qu’il avait vingt quatre ans, lui aussi. Un bête accident, aussi. Un vaccin de polio qui avait mal tourné. Un cas sur cent mille, ils avaient dit. Et Diego avait dit : « Mais pourquoi moi ? ». Et il y avait perdu les reins.

Diego avait vieilli. Il était fatigué. Les dialyses. La greffe avait duré dix sept ans. Pendant dix sept ans, adieu les dialyses... Mais c’était fini. Le greffon avait enflammé. On avait repris les dialyses. Ca le fatiguait. Il l’avait senti sous ses doigts. De temps en temps, oh ! une ou deux fois par an, il palpait ses proches. Il caressait légèrement leur visage du bout de ses doigts. Diego, il le sentait fatigué. Des rides. Beaucoup de rides. Des rides de tristesse.

Sa sœur Maria aussi avait vieilli. Mais il avait senti des rides de colère. Des rides de frustration. Elle avait perdu sa voix, Maria. Elle avait la voix cassée à force de crier. De crier sur ses enfants, sur son mari, sur les voisins, sur tous les gens qui l’approchaient. Elle criait sa colère au monde entier. Quelle colère ? Carlos ne savait pas. Il pensait que Maria ne le savait pas non plus. Une vie de colère.

Sa femme, Léna. Même s’il sentait des rides quand il la caressait, elle était toujours belle. Il l’imaginait très bien comme elle devait être maintenant. Mais il la trouvait belle quand même. Il aimait lui faire l’amour, à Léna. Ils éteignaient la lumière. Elle préférait dans le noir. Lui aussi. Il se sentait alors à égalité avec elle. Ils se sentaient, se caressaient. Le corps de chacun prenait vie dans les doigts de l’autre. C’était bon. C’était bien.

Il habitait l’appartement de son enfance. Le quartier avait changé, on lui avait dit. On lui avait dit qu’on avait construit des grands immeubles à la place du jardin de son enfance. il s’en fichait. Lui voyait son quartier comme avant. Il revoyait le jardin où il jouait petit. Il revoyait les petites maisons qui avaient disparu. Peut-être qu’elles avaient disparu. Sûrement même. Mais il les voyait.

Il sortit sur le balcon. Il sentit un vent humide sur sa peau. Il commençait à pleuvoir doucement. Sans doute, le ciel était tout nuageux. Mais lui, il ne voyait pas ça. Dans le rêve de cette nuit, il avait revu sa rue toute belle, toute ensoleillée. Le jardin tout fleuri. Les gens tout jeunes. La vie toute belle. Et c’est fou comme certains rêves vous incrustent le regard. Les souvenirs de son enfance revenaient enflammés de soleil et de lumière.

Il pleuvait maintenant.

Mais Carlos ouvrit ses yeux.

Il vit sa rue toute belle, toute ensoleillée.

Il vit le jardin tout fleuri.

Il vit les gens tout jeunes.

Il vit la vie toute belle.

Il voyait !