La pancarte, immense, ornait la façade. Deux énormes colibris - Mais c’est pas un petit oiseau, le colibri ? - encadraient le nom.
Je fis signe au chauffeur de taxi que nous étions arrivés. Voilà. Ma dernière demeure avant le cimetière. L’enterrement ou la crémation ? Je ne m’étais pas encore décidé. Je m’ébrouais pour me faire sortir ces pensées de la tête. Je sortis de la voiture et j’attendis que le chauffeur pose mon déambulateur devant moi. Le déambulateur. Mon nouveau – et dernier ? – copain. Mon soutien. Ma béquille. Mon appui. Je me sentais seul. Comme c’était bizarre de se sentir seul...
A 20 ans, nous étions un groupe d’une vingtaine de gars et de filles toujours prêts à faire la fête et quasiment inséparables. A 40 ans, les tablées hebdomadaires chez les parents, enfants et petits enfants. Là aussi, nous étions une vingtaine à manger, à boire, à rire, à discuter. De politique, des fois. Et même là, c’était drôle.
Et maintenant, à presque soixante dix ans, seul. Ma femme, ma chérie, m’a quitté il y a trois ans pour un con. Un salaud. Un salopard de cancer des poumons qui s’était généralisé avant qu’on le découvre. Mon fils aîné vit sa vie à Paris. Mon fils cadet vit sa vie à Genève avec mon petit fils que je n’ai pas vu depuis plus d’un an. A chaque fois qu’on se voit, il ne me reconnaît pas.
Ah ! Seul ! Hier encore, quand j’avais dix ans, chez ma grand-mère, on était plus facilement cinquante de dix. J’ai toujours vécu en groupe. Groupe familial. Groupe de travail. Groupes de toutes sortes. Un grégaire. Je suis un grégaire. Et maintenant je suis seul. Là. En bas du perron. Devant cinq misérables marches qui me bloquent la route. La rampe d’accès est au moins à vingt mètres. Une randonnée pour moi. Je ne veux pas laisser mes valises.
Oh ! C’est pas un trésor qu’il y a dedans ! Des vêtements dans une valise et ma vie dans l’autre. J’ai fait un grand ménage avant de partir. Seuls quelques livres, mon ordinateur. Musiques, livres, photos, toute ma vie tient dans un disque dur.
Toute ma vie dans un disque dur.
Aussi, j’en ai fait une sauvegarde.
J’ai trop peur de la perdre.
Ma vie.